- CONJONCTURELLE (POLITIQUE)
- CONJONCTURELLE (POLITIQUE)La politique conjoncturelle a été souvent définie, dans une optique keynésienne, comme l’ensemble des interventions de politique économique visant à réguler à court terme le niveau de la demande globale. En tenant compte également de l’offre, la politique conjoncturelle désigne les interventions de politique économique modifiant à court terme l’offre et/ou la demande globales, et les conditions de l’ajustement entre ces deux grandeurs.La régulation conjoncturelle de l’ajustement entre l’offre et la demande globales est mise au service des objectifs ultimes de la politique économique: réduction de l’inflation et du chômage involontaire; obtention d’une croissance économique rapide et régulière, etc. La politique conjoncturelle est souvent décidée et justifiée en référence à un sentier de croissance à moyen terme de l’économie, choisi par le Plan national de développement. L’articulation entre les mesures conjoncturelles et les politiques structurelles est au cœur de la régulation dans les économies contemporaines.1. Variables et contraintes de la politique conjoncturelleLes objectifs finalsLes objectifs ultimes de la politique conjoncturelle sont souvent appréhendés à partir du «carré magique» de N. Kaldor, qui dégage quatre préoccupations: le rythme de croissance du produit national en volume, le taux d’inflation, le niveau de l’emploi et le solde extérieur (qui peut être défini de plusieurs manières, en fonction de l’endroit où est placée la «ligne» dans la lecture de la balance des paiements: solde de la balance commerciale, de la balance des paiements courants, de la balance de base, etc.).Le «carré magique» peut donner l’impression trompeuse que ces quatre objectifs finals sont situés au même niveau, à la fois dans l’échelle d’évaluation des décideurs publics et dans le schéma d’interdépendance entre les différentes variables économiques (le «modèle» de l’économie). De nombreux modèles de politique économique, en particulier ceux qu’a élaborés R. Mundell entre 1960 et 1963, juxtaposent le désir de l’équilibre intérieur, situation souvent envisagée comme l’égalité entre l’offre et la demande globales au point de plein emploi, et la recherche de l’équilibre extérieur.En fait, le respect de l’équilibre extérieur est parfois un moyen de mieux réaliser certains objectifs intérieurs; sous d’autres angles, la lutte contre l’inflation est indispensable au rétablissement de la compétitivité externe d’une économie. En fonction de la structure de l’économie (en particulier son degré d’ouverture) et des préférences des décideurs publics, une hiérarchie est susceptible de s’instaurer entre les objectifs intérieurs et extérieurs de la politique conjoncturelle. Les politiques de stop-and-go constituent un exemple significatif d’inversion au cours du temps de la hiérarchie entre les objectifs d’emploi et de stabilité des prix: à une phase de politique expansionniste privilégiant l’emploi au prix d’une inflation accrue (go) succèdent des plans d’assainissement ou de stabilisation qui ralentissent l’inflation au prix d’une augmentation du chômage (stop).Instruments, indicateurs et objectifs intermédiaires de la politique conjoncturelleLes instruments de la politique conjoncturelle sont des variables directement contrôlées par les décideurs publics, mais qui en principe n’influent pas sur leur niveau de satisfaction. La modification de ces instruments permet, à travers une chaîne plus ou moins complexe de causalités, d’infléchir le niveau des objectifs ultimes de la politique conjoncturelle. Ainsi, la politique monétaire recourt aux variations du taux d’escompte de la Banque centrale, aux changements des coefficients de réserves obligatoires, à l’encadrement du crédit, au contrôle des changes, etc. La politique budgétaire et fiscale détermine le montant des dépenses publiques et les taux d’imposition, le montant des recettes fiscales étant lui-même conditionné, pour des taux d’imposition donnés, par la conjoncture économique.À partir de 1974-1975, les pouvoirs publics ont été conduits à dégager des objectifs intermédiaires , situés dans la chaîne des causalités entre les instruments et les objectifs finals. En particulier, les autorités monétaires ont choisi et annoncé publiquement des normes de croissance des agrégats monétaires sélectionnés comme objectifs intermédiaires de la politique monétaire. Deux principales justifications de cette démarche «décomposée» de la politique conjoncturelle ont été proposées:– Les liaisons entre les objectifs intermédiaires et les objectifs finals sont plus stables au cours du temps que les relations entre les instruments et les objectifs finals. Si donc le décideur public parvient à infléchir avec précision le niveau des objectifs intermédiaires (qualifiés parfois de «cibles»), il peut réguler convenablement l’évolution des objectifs finals.– L’annonce publique de normes monétaires indique aux partenaires sociaux les intentions de la Banque centrale; elle est susceptible d’infléchir les anticipations des agents participant aux négociations salariales et des opérateurs intervenant sur les marchés financiers et sur le marché des changes. Ces deux séries d’arguments sont l’objet de controverses, tant théoriques qu’empiriques.Le besoin d’indicateurs de la politique conjoncturelle provient du souci qu’ont à la fois les décideurs publics et les économistes d’évaluer cette politique: comment évoluet-elle au cours du temps? Devient-elle plus expansionniste, ou au contraire plus restrictive? Ce problème, apparemment simple, soulève en fait de nombreuses difficultés techniques. Pour avoir un indicateur sans biais de la politique conjoncturelle, il faut disposer d’une grandeur reflétant, à titre exclusif ou principal, l’intervention des pouvoirs publics, et qui soit donc «épurée» de l’influence de l’environnement (la conjoncture) et du comportement des autres agents que l’État. Prenons l’exemple classique de la politique budgétaire et fiscale: le budget agit sur la conjoncture, et des multiplicateurs de revenu sont associés aux variations des dépenses publiques ou des recettes fiscales. Mais la conjoncture influence le budget de l’État, puisqu’elle modifie, à taux d’imposition donnés, l’assiette des impôts (c’est la flexibilité fiscale ). Pour élaborer un indicateur non biaisé de la politique budgétaire et fiscale, il faut donc gommer l’influence de la conjoncture sur le budget pour ne conserver que la causalité inverse. Cette idée sous-tend le calcul, aux États-Unis et dans quelques autres pays de l’O.C.D.E., du solde budgétaire de plein emploi ou de haut niveau d’emploi.Les contraintes pesant sur la politique conjoncturelleDivers types de contraintes conditionnent le contenu et l’efficacité de la politique conjoncturelle. Certaines contraintes découlent des liaisons existant entre les objectifs ultimes . Une célèbre contribution de A. W. Phillips (1958) a mis en évidence une relation entre le niveau de l’emploi et le rythme de l’inflation: à un taux de chômage restreint est associée une accélération de l’inflation, et inversement l’extension du chômage s’accompagne d’un ralentissement de la hausse des salaires nominaux et des prix. Les courbes de Phillips et le «cruel dilemme» (P. Samuelson) entre le plein emploi et la stabilité des prix qu’elles prétendent représenter ont été au centre des débats de politique conjoncturelle dans les années 1960. M. Friedman (1968) a voulu montrer que l’arbitrage entre le niveau de l’emploi et la hausse des prix ne se pose qu’à court terme. À long terme, les agents parviennent à corriger leurs erreurs d’anticipations relatives à l’évolution des prix et des salaires. La courbe de Phillips de longue période est une verticale parce que le taux de chômage effectif ne peut s’écarter durablement du taux de chômage «naturel» (défini d’ailleurs de façon ambiguë). La stagflation – expression forgée en 1970-1971 mais qui est devenue réalité surtout après le premier choc pétrolier de 1973-1974 – exprime la concomitance de la montée du chômage et de l’inflation. Elle s’est traduite par une forte instabilité et une déformation des courbes de Phillips, qui, dans la plupart des pays de l’O.C.D.E., ont la forme de «colimaçons» s’enroulant progressivement vers la zone de chômage élevé et d’inflation accélérée.Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 ont renforcé la contrainte externe pesant sur la politique conjoncturelle, et mis au premier plan la liaison existant entre le rythme de la croissance économique et le solde extérieur. À l’heure actuelle, une hausse du P.I.B. de 1 p. 100 provoque, en France, une augmentation des importations de 2 p. 100 (l’élasticité-revenu des importations vaut approximativement 2). Ainsi, toute politique de relance risque de provoquer à court terme une dégradation de la balance commerciale, parce qu’en courte période le volume des exportations est relativement rigide. Cet aspect de la contrainte extérieure dépend évidemment du degré d’ouverture de l’économie: en France, les importations représentaient, en 1989, 23 p. 100 du produit intérieur brut, mais la proportion atteint plus de 50 p. 100 pour les Pays-Bas ou la Belgique. La contrainte due à l’ouverture de l’économie ne joue pas uniformément pour l’ensemble des activités nationales. La plupart des modèles de politique économique élaborés depuis le début des années 1970 font une distinction entre les secteurs exposés à la concurrence internationale (l’essentiel du secteur industriel) et les secteurs abrités (bâtiment et travaux publics, services, etc.). Dans les secteurs exposés, les prix internes sont largement influencés par les prix internationaux, alors que les producteurs dans le secteur abrité peuvent pratiquer plus librement un comportement de marge.La contrainte externe pesant sur la politique conjoncturelle comporte d’autres aspects. Le régime de change conditionne, en principe, le degré d’autonomie des politiques nationales de stabilisation. La théorie conventionnelle, largement exploitée par la doctrine monétariste, nous apprend en effet que le passage des changes fixes aux changes flottants accroît l’autonomie de la politique conjoncturelle, et isole la masse monétaire interne de l’influence des mouvements internationaux de capitaux. En changes vraiment flottants, l’équilibre extérieur est automatiquement obtenu, ce qui permettrait de consacrer les instruments de politique économique à la réalisation des objectifs intérieurs; les entrées ou sorties de capitaux provoquent des modifications des taux de change, et non une variation de la contrepartie externe de la masse monétaire. Ces différentes propositions sont sujettes à controverses. Si le passage à des changes vraiment flottants fait disparaître de la liste des objectifs finals l’équilibre extérieur, il réduit également le nombre des instruments disponibles: les taux de change deviennent endogènes et déterminés par la confrontation des économies nationales. L’évolution depuis le début des années 1970 a suscité une double prise de conscience: 1. L’abandon du régime des changes fixes et le passage à un régime de flottement largement géré par les banques centrales, à partir de mars 1973, n’ont pas accru l’autonomie des politiques conjoncturelles nationales. 2. L’instauration de zones de stabilité des changes, comme le système monétaire européen (S.M.E.) créé en 1979, introduit des contraintes de change additionnelles pour les pays participants.Pour ce qui concerne l’incidence des variations du taux de change, à partir de la crise des années 1970 nous sommes passés d’un monde où les dévaluations (changes fixes) ou dépréciations (changes flottants) avaient au bout d’un certain temps une influence favorable sur la balance commerciale, représentée par la fameuse courbe en (J), à un monde où prédominent les effets défavorables. Aujourd’hui, les effets pervers de la dépréciation du change tendent à l’emporter sur les effets favorables: la demande de certaines importations (produits de base, pétrole, etc.) est largement inélastique par rapport aux prix, et l’avantage donné aux exportations par une dépréciation du change peut être réduit par le comportement de marge des exportateurs et la concurrence internationale. Par exemple, l’Italie et le Royaume-Uni (jusqu’en 1979) ont connu le cercle vicieux dépréciation du change-inflation accélérée-nouvelle dépréciation, alors que d’autres pays (l’Allemagne fédérale et le Japon, en particulier) ont bénéficié du cercle vertueux associé à l’appréciation de la monnaie nationale.La contrainte externe est aussi une contrainte de taux d’intérêt . Elle fut durement ressentie en raison de la nouvelle politique monétaire américaine mise en place à partir d’octobre 1979, et la variabilité accrue des taux d’intérêt qui en est résultée. Dans la plupart des pays de l’O.C.D.E., s’est instauré un principe de spécialisation des taux d’intérêt: les taux à court terme sont largement affectés à la réalisation de l’équilibre extérieur, alors que les taux d’intérêt à long terme sont plus dégagés d’influences internationales directes et conditionnent l’équilibre intérieur (l’investissement, la production, etc.). Ainsi, en France, le taux de l’argent au jour le jour sur le marché monétaire est déterminé, à titre principal, par les variations des taux d’intérêt de l’eurodollar, et par les taux de l’eurodeutsche Mark.Les réflexions sur la déconnexion possible des taux courts français par rapport aux taux internationaux se multiplient aujourd’hui: à quelles conditions, mais aussi à quel prix (en termes de coûts d’une réglementation sévère, coûts d’une segmentation accrue des marchés de capitaux, etc.) peut-on dissocier l’évolution des taux débiteurs des intermédiaires financiers de l’évolution des taux d’intérêt internationaux? La politique conjoncturelle est également conditionnée par des contraintes de système , reflets des propriétés structurelles de l’économie à réguler. Ainsi, les travaux menés à la Banque de France partent de l’idée que la France correspond à une économie d’endettement , c’est-à-dire une économie dans laquelle les agents à déficit de financement s’adressent de façon prioritaire aux intermédiaires financiers, de manière subsidiaire au marché financier. Ils montrent de façon convaincante que la régulation de la masse monétaire et la formation des taux d’intérêt se posent différemment dans une économie d’endettement, et dans une économie de marchés financiers.2. Contenu et composantes de la politique conjoncturelleQuelques options fondamentales de la politique conjoncturelleLe choix entre la régulation de la demande globale et l’action directe sur l’offre demeure au centre des controverses contemporaines. La politique de relance par la demande consiste souvent en une augmentation des dépenses publiques partiellement financée par une création monétaire additionnelle qui fait jouer l’effet de synergie entre politique budgétaire et politique monétaire.Elle met en œuvre le multiplicateur de revenu keynésien, mais risque de buter sur la contrainte externe en provoquant à court terme une dégradation de la balance commerciale. L’évolution économique des années 1970 a mis au premier plan les chocs dus à l’offre (supply shocks ), dont les chocs pétroliers constituent l’illustration la plus notable. Les théoriciens de l’«économique de l’offre» (supply-side economics ) ont voulu réagir contre la conception keynésienne de la politique conjoncturelle, et privilégier l’action sur l’offre. S’appuyant sur la «courbe de Laffer», ils prétendent relancer l’économie par une baisse des taux marginaux d’imposition, et non par une augmentation des dépenses publiques: la baisse des taux d’imposition est censée favoriser la substitution du travail au loisir, la formation de l’épargne et l’investissement. En développant l’activité économique, elle permet, en fin de compte, une réduction (et non une aggravation) du déficit budgétaire. Ces thèses, qui influencèrent, entre autres, largement le programme économique de l’administration Reagan, se révèlent d’application délicate. Contrairement à l’engagement pris par cette administration, le budget de l’État fédéral américain n’a pu être ramené à l’équilibre. Une autre option de base de la politique conjoncturelle concerne le choix entre des règles avec rétroaction , et des règles sans rétroaction . Lorsqu’il choisit de mettre en œuvre des règles avec rétroaction, le décideur public adapte le niveau des instruments en fonction de la conjoncture, et de l’écart constaté entre les niveaux effectifs et désirés des objectifs finals. Les règles avec rétroaction correspondent donc à des politiques discrétionnaires, qui, dans les années 1960, ont même consisté souvent en du «réglage fin» (fine tuning ). Les règles sans rétroaction désignent les politiques automatiques ou semi-automatiques: les pouvoirs publics choisissent un comportement bien précis, et ne l’adaptent pas en fonction de la conjoncture. Par exemple, ils fixent un taux constant pour la croissance de la masse monétaire («règle d’or» de M. Friedman).Deux séries d’arguments ont été avancées pour justifier la mise en œuvre de règles sans rétroaction. L’école monétariste, sous l’impulsion de M. Friedman, prétend que les mesures discrétionnaires sont plus déstabilisantes que stabilisantes: les délais d’action de la politique conjoncturelle – en particulier de la politique monétaire – sont longs et variables au cours du temps (ce qui les rend difficilement prévisibles); souvent les mesures discrétionnaires agissent à contretemps, et accentuent, au lieu de les réduire, les fluctuations de l’activité économique. L’école des anticipations rationnelles (R. Lucas, T. Sargent et N. Wallace) débouche sur la même conclusion, mais par d’autres voies. Les mesures discrétionnaires seraient inefficaces, parce que parfaitement anticipées et déjouées par les agents privés. Aucun de ces arguments n’emporte, de façon définitive, la conviction. La politique monétaire et la politique budgétaire, même si elles impliquent des délais d’action variables, agissent souvent dans le sens contracyclique. Quant à l’école des anticipations rationnelles, sa conclusion ne découle pas nécessairement des prémisses de son raisonnement: même à supposer que les agents privés parviennent à anticiper exactement le moment et l’ampleur des mesures discrétionnaires – ce qui reste à prouver empiriquement –, il faudrait y voir la justification non pas de règles sans rétroaction, mais de politiques conjoncturelles aléatoires cherchant à prendre les agents privés par surprise. Une troisième option concerne surtout les politiques de lutte contre l’inflation: faut-il mettre en place une politique gradualiste , visant à diminuer très progressivement le taux de croissance de la masse monétaire et le rythme d’inflation? Vaut-il mieux recourir à une thérapeutique de choc ? Par exemple, si la politique monétaire menée par le gouvernement Barre, de 1976 à mai 1981, s’est voulue résolument gradualiste, celle qu’a conduite Margaret Thatcher au Royaume-Uni à partir de 1979 fut plus brutale. Une thérapeutique de choc a peut-être l’avantage de «casser» les anticipations inflationnistes, qui jouent un rôle si important dans la spirale prix-salaires. Elle a l’inconvénient d’accroître à court terme, de façon brutale, le niveau du chômage, sans nécessairement provoquer rapidement une désinflation. Le gradualisme de la politique conjoncturelle comporte un coût immédiat en termes d’emplois moins élevé. Il est la contrepartie logique de l’incertitude fondamentale dans laquelle se trouvent placés les décideurs publics, en ce qui concerne le «modèle» de l’économie et le partage entre l’emploi et les prix des effets de la politique conjoncturelle. Choisir une certaine politique de lutte contre la stagflation, c’est opter pour un sentier de cheminement de l’économie, caractérisé à titre principal par le niveau du chômage et le rythme d’inflation pour les périodes à venir. Dans cette optique, le choix entre gradualisme et thérapeutique de choc doit tenir compte de la fonction de préférence des décideurs publics, du taux d’actualisation collectif, et des coûts associés aux politiques anti-inflationnistes.Évolution de la politique budgétaire et fiscaleLes politiques budgétaires et fiscales des années 1960 s’appuyaient souvent (ce fut le cas en France) sur des principes de neutralité des finances publiques: le budget de l’État doit être approximativement en équilibre; le Trésor doit financer un éventuel déficit par appel à de l’épargne «réelle» (c’est-à-dire préalablement constituée), non par création monétaire additionnelle; les dépenses publiques ne doivent pas augmenter plus vite que le P.N.B. en valeur; la fiscalité doit être «neutre», etc. Toutes ces règles de neutralité, dont certaines n’étaient justifiées que par la volonté de certains hommes politiques et économistes de fixer des limites à la place du secteur public dans l’activité totale, ont été remises en cause par l’évolution économique elle-même. Dès lors, la politique budgétaire et fiscale soulève trois questions principales: la sélection d’indicateurs appropriés; le choix d’un mode de financement de déficits budgétaires devenus structurels; le degré de concurrence ou, à l’inverse, de complémentarité, entre les dépenses publiques et les dépenses privées.La construction d’indicateurs de la politique budgétaire est d’autant plus utile que les déficits budgétaires constatés à partir de 1975 dans la plupart des pays de l’O.C.D.E. résultent à la fois du ralentissement de la croissance et de politiques budgétaires souvent «actives». Pour éclairer le débat politique, il convient de pondérer ces deux influences. Ce pourrait être considéré par certains comme une provocation de parler de «solde budgétaire de plein emploi», alors que le chômage s’étend rapidement. Il faudrait, pour mesurer l’activisme de la politique budgétaire et fiscale, raisonner à taux de chômage constant (calcul du solde budgétaire pour un taux de croissance normatif, pas nécessairement égal au taux de chômage associé au plein emploi), ou utiliser d’autres indicateurs qui furent discutés par A. Blinder et R. Solow (1974) et employés dans le rapport Mc Cracken (1977). Le choix des modes de financement de déficits budgétaires croissants est tout aussi délicat. Ou bien ces déficits sont, dans de larges proportions, couverts par endettement du Trésor sur le marché financier. Le risque est alors de provoquer l’«éviction», au moins partielle, des émetteurs privés de ce marché financier, et la conséquence logique est de contribuer à la hausse des taux d’intérêt nominaux. Ou bien les déficits sont financés par la création monétaire: le gonflement de la contrepartie «créances sur le Trésor» qui en résulte nuit alors à la réalisation des normes fixées pour la croissance de la masse monétaire. L’analyse de l’«éviction» des dépenses privées par les dépenses publiques débouche sur des conclusions incertaines. Il existe autant de mesures de l’éviction que de modèles économétriques de référence. Les travaux empiriques confirment cependant deux résultats théoriques: l’ampleur de l’éviction dépend du mode de financement des dépenses publiques (financement par l’impôt, l’emprunt ou la création monétaire); elle est également conditionnée par le régime de change. Le modèle Metric utilisé en France pour la prévision à court terme indique que l’éviction est plus intense en changes flottants qu’en changes fixes, parce qu’en changes flottants la spirale dépréciation du change-accélération de l’inflation conduit les agents privés à freiner leurs dépenses, afin de reconstituer la valeur réelle de leurs encaisses monétaires.Évolution de la politique monétaireUne vue perspective sur les politiques monétaires contemporaines dans les pays de l’O.C.D.E. amène à souligner la juxtaposition de divergences structurelles et de points de convergence.Parmi les divergences, il faut privilégier le type de politique monétaire employé. Les politiques d’«exacte détermination», en vertu desquelles la Banque centrale contrôle soit les taux d’intérêt, soit la masse monétaire mais pas les deux catégories de variables, s’opposent aux politiques de «surdétermination» (l’expression est prise dans un sens purement analytique, et ne comporte pas de jugement de valeur a priori) consistant en une régulation conjointe des taux d’intérêt et du stock de monnaie. La politique monétaire américaine qui fut pratiquée à partir du 6 octobre 1979 est une variété de politique d’«exacte détermination»: le Fed s’efforce de réguler la croissance des réserves non empruntées des banques (différence entre leurs réserves totales et le refinancement auprès de la Banque centrale), et, par cette voie, la croissance de la base monétaire et de la masse monétaire; les taux d’intérêt varient en conséquence sur le marché monétaire, puisqu’ils ajustent une offre de monnaie «banque centrale» contingentée et une demande de monnaie «banque centrale» de la part des banques de second rang. Une conséquence de cette variété de politique d’exacte détermination est une variabilité accrue, à la hausse comme à la baisse, des taux d’intérêt.La politique monétaire menée en France à la même époque correspond au cas de «surdétermination»: les autorités monétaires contrôlent à la fois la croissance de la masse monétaire, grâce à l’encadrement du crédit, et les taux d’intérêt; il y a surdétermination lorsque l’encadrement du crédit provoque un rationnement de la demande sur le marché des crédits. D’autres divergences concernent les canaux de transmission de la politique monétaire, c’est-à-dire les voies par lesquelles la politique monétaire agit sur l’activité économique et le rythme d’inflation. En France, l’effet de coût de capital (c’est-à-dire l’influence des variations du taux d’intérêt) et l’effet de rationnement du crédit (dû à l’encadrement du crédit) sont souvent prédominants. Pour les États-Unis, le modèle économétrique détaillé M.P.S. souligne le rôle des effets de richesse associés aux variations de taux d’intérêt: la baisse (resp. la hausse) des taux d’intérêt entraîne une augmentation (resp. une diminution) de la valeur des titres, et de la valeur du patrimoine; elle influe par ce biais sur la consommation des ménages, l’investissement, etc. En Allemagne fédérale, la Bundesbank a souligné le rôle des effets d’annonce lorsqu’elle a mis en place en 1974 une politique de normes monétaires; elle visait surtout à infléchir les anticipations des partenaires sociaux et leur attitude lors des négociations salariales.À d’autres égards, des convergences apparaissent. Lorsqu’en 1980 le gouverneur de la Banque de France qualifiait la politique monétaire française de «quantitative, pluraliste et gradualiste», il employait une formule qui peut être appliquée également à de nombreuses expériences étrangères. Dire que la politique monétaire est quantitative, cela ne signifie pas qu’elle se réfère expressément à la théorie quantitative de la monnaie, dans sa version ancienne ou sous sa forme moderne. Les politiques monétaires contemporaines sont quantitatives parce qu’elles fixent et affichent publiquement des normes pour la croissance des agrégats monétaires. Elles sont pluralistes, parce que les agrégats monétaires ne sont pas les seuls objectifs intermédiaires: figurent parfois, à leur côté ou à des niveaux différents dans la chaîne des causalités, les taux de change et les taux d’intérêt. Par exemple, la politique monétaire française de 1976 à 1981 fut gradualiste, puisqu’elle a consisté en une réduction progressive des normes fixées pour la croissance de M 2 (la norme est passée de 12,5 p. 100 pour 1977 à 10 p. 100 pour 1981) et de la croissance effective de cet agrégat.Une autre convergence des politiques monétaires provient de l’instabilité de la fonction de demande de monnaie, constatée dans de nombreux pays occidentaux à partir de 1974-1975. Cette instabilité est elle-même liée à un processus marqué d’innovations financières. La plupart des économies connaissent une «course» entre les innovations financières et la réglementation: les innovations sont introduites par les agents financiers en grande partie pour contrecarrer la réglementation instaurée par les autorités monétaires; la réglementation est à son tour adaptée pour tenir compte des nouveaux produits financiers, ce qui suscite de nouvelles innovations...3. Évaluation de la politique conjoncturellePour évaluer a posteriori une politique, on peut être tenté de suivre au cours de la période l’évolution de ses objectifs finals, en partant par exemple des grandeurs impliquées par le «carré magique». Cette méthode risque de conduire à des jugements trop sévères. Par exemple, l’étude de l’évolution des grandeurs du carré magique en France pendant les années 1970-1980 pourrait confirmer l’installation progressive dans la stagflation, et l’irrégularité des soldes de la balance des paiements courants, explicable en partie par la variabilité du taux de croissance du P.N.B. en volume. Il serait cependant grossier d’évaluer la politique conjoncturelle à la lumière de ce seul constat. Sans doute les politiques conjoncturelles mises en œuvre entre 1970 et 1975, en France comme dans d’autres pays de l’O.C.D.E., ont-elles pu avoir un effet déstabilisant, comme l’a suggéré le rapport Mc Cracken (1977). Mais il faut prendre également en considération le rôle des mutations structurelles et le poids des aléas internes et internationaux (chocs pétroliers, etc.).Incertitudes persistantes de la politique conjoncturelleMalgré les progrès des méthodes économétriques et la floraison des modèles macro-économiques, subsiste une incertitude gênante relative aux délais d’action et au partage entre les prix et les volumes des effets de la politique conjoncturelle. À propos des politiques de stabilisation, une distinction est souvent opérée entre deux types de délai: les délais internes expriment la période qui s’écoule entre le moment où la décision de politique économique serait «objectivement» justifiée, et le moment où elle est effectivement mise en œuvre.Les délais externes correspondent à l’intervalle de temps nécessaire pour que les modifications des instruments se répercutent sur les objectifs finals de la politique économique.En France, comme dans la plupart des autres pays, les délais internes de la politique budgétaire et fiscale sont plus longs que ceux de la politique monétaire, parce que la politique budgétaire nécessite en général l’intervention du Parlement. Il faut cependant noter la création en 1969 et l’utilisation fréquente depuis cette date du Fonds d’action conjoncturelle. Ce Fonds permet au gouvernement, à l’intérieur d’un plafond fixé par le Parlement, de débloquer des crédits budgétaires sans nouvelle autorisation parlementaire; il réduit ainsi les délais internes de la politique budgétaire. Par exemple, le premier gouvernement Mauroy a pu, dès juin 1981, débloquer les 6,5 milliards de francs dont avait été doté le Fonds d’action conjoncturelle dans le budget de 1981.Les estimations des délais externes des politiques sont plus incertaines, et en général divergentes. Il y a presque autant d’estimations que de modèles économétriques de référence. Selon une étude de la Banque de France, datant de 1971, les mesures de politique monétaire agiraient au bout de trois trimestres sur le volume de l’activité économique, au bout de cinq à six trimestres sur les prix. Le même ordre d’ajustement s’appliquerait pour la politique budgétaire. Des modèles économétriques postérieurs formalisent souvent un ordre d’ajustement inverse: dans le monde contemporain, les prix sont plus flexibles à la hausse que les quantités (volume de la production et de l’emploi).L’incertitude concerne aussi le partage entre les prix et les volumes des effets de la politique conjoncturelle. Le décideur public est concerné par la croissance du P.N.B. en valeur, mais surtout par le partage entre prix et volumes de cette croissance nominale. Malgré la floraison des modèles économétriques, les pouvoirs publics sont souvent en situation d’incertitude en ce qui concerne le partage prix-volume des effets de la politique économique. Cela s’explique par l’insuffisante analyse des fondements micro-économiques de la macro-économie. Comme l’a dit R. Raymond (1979), «cette incertitude sur le partage entre la croissance et les prix des effets d’une politique de stabilisation tient à ce que nous ne savons pas très bien comment les entreprises réagissent à une restriction de leurs financements. Réduiront-elles leurs programmes d’investissement? Ont-elles la possibilité de moduler l’évolution de leurs prix? Toute une recherche micro-économique reste à faire dans ce domaine».L’attitude des agents privés à l’égard des mesures de politique conjoncturellePlusieurs éléments réduisent l’efficacité de la politique conjoncturelle. L’un d’entre eux tient à l’horizon économique des décisions individuelles. Ainsi, des études empiriques ont souligné que certaines réductions (exemple des années 1962-1964) ou augmentations (exemple de 1968) des impôts directs décidées par l’Administration fédérale américaine ont eu en fait une efficacité incertaine. Cela peut être expliqué de la façon suivante: si les ménages déterminent leur consommation courante en fonction non de leur revenu courant, mais de leur revenu permanent (c’est-à-dire de leur revenu «normal» anticipé), ils ne changent leur consommation à la suite d’une modification des impôts que s’ils intègrent cette dernière dans leur estimation du revenu permanent. Si l’allégement fiscal (pour prendre cet exemple) est considéré comme «transitoire», il n’infléchit pas la consommation mais altère le niveau de l’épargne.Un autre défi à la politique conjoncturelle provient de la volonté et de la possibilité de riposte des agents privés aux mesures discrétionnaires. La riposte, dont l’analyse a été présentée de façon trop extrême et dogmatique par l’école des anticipations rationnelles, intervient par exemple en matière d’encadrement du crédit. Dans le contexte français, les ménages et les entreprises ont souvent modifié leurs comportements lorsqu’ils ont anticipé l’instauration ou le durcissement de l’encadrement du crédit. Par exemple, en 1971, au sortir du sévère encadrement du crédit de 1968-1970, les entreprises ont anormalement gonflé leur demande de crédit et leur demande de monnaie. Elles voulaient par là constituer des encaisses de précaution et se protéger contre un éventuel retour de l’encadrement du crédit. Lorsque celui-ci fut rétabli à la fin de 1972, il n’a pas exercé immédiatement de contrainte. Les entreprises ont pu pendant un an utiliser les encaisses préalablement constituées, et «compenser» ainsi partiellement l’encadrement du crédit par une hausse de la vitesse de circulation de la monnaie. Ce comportement d’anticipation a donc accru le délai externe de la politique monétaire.Aux États-Unis, en 1966 et 1969, les ripostes à la politique monétaire restrictive furent externes (endettement des firmes et banques américaines sur le marché de l’eurodollar). En France, les ripostes internes ont prédominé: procédures de «face à face» (très importantes en 1968-1970), extension du crédit interentreprises, réaction des firmes à l’encadrement par la hausse des prix et des marges bénéficiaires, etc. Ces ripostes internes ont souvent pour effet d’augmenter la vitesse de circulation de la monnaie. Ainsi justifie-t-on cette constatation: chaque fois que la politique monétaire devient nettement restrictive, la vitesse-transactions de la monnaie augmente sensiblement et rapidement. Et la hausse de (V) compense – en partie seulement – l’influence restrictive exercée par l’encadrement du crédit.La politique conjoncturelle dans le système global de politique économiqueLa politique conjoncturelle ne se réduit pas à l’étude de la politique monétaire, de la politique budgétaire et fiscale et de leur articulation. Toute forme de politique économique (politique de l’emploi, politique industrielle, politique des revenus, etc.) revêt à la fois des aspects conjoncturels et une dimension structurelle. Nous allons évoquer ici quelques aspects de la hiérarchie entre les formes de politique économique et de la coordination entre les politiques conjoncturelles et les politiques structurelles.À partir du début des années 1970, la politique monétaire a tenu une place croissante dans l’ensemble des instruments de politique économique. Cette évolution résulte de deux phénomènes: 1. L’échec ou la rigidité des autres formes de politique économique. Les pays de l’O.C.D.E. ont des degrés de liberté réduits en matière budgétaire et fiscale: le ralentissement de la croissance diminue la flexibilité du côté des dépenses publiques, car il faut limiter l’ampleur des déficits budgétaires. D’autre part, les formes traditionnelles de la politique des revenus, qui avaient connu une certaine efficacité dans les années 1960, n’ont pas résisté à la montée de la stagflation. 2. L’impact de la doctrine monétariste.Étant donné la place de la politique monétaire, la tentation est grande de la mettre au service d’autres formes de politique économique. La sélectivité de la politique monétaire a été souvent reliée à la sélectivité de la politique industrielle. À certains moments, les pouvoirs publics ont pu être tentés d’instaurer une politique des revenus à fondement monétaire , c’est-à-dire de conditionner l’ouverture de crédits en faveur d’une entreprise (ou d’une branche) au respect par elle de normes relatives à l’évolution des prix et des revenus fixées par l’État.La politique des revenus a trois fonctions principales: améliorer les conditions de l’arbitrage entre plein emploi et stabilité des prix (c’est-à-dire modifier l’allure de la courbe de Phillips); desserrer la contrainte extérieure en ralentissant l’inflation; diminuer les anticipations inflationnistes.La plupart des analyses contestent l’efficacité de la politique des revenus, qu’elle soit réglementaire, indicative, etc. Cependant, le recours à une politique des revenus assez normative dans la France d’aujourd’hui a pu servir à «casser» les anticipations inflationnistes. À travers le prélèvement conjoncturel , a été esquissé un projet de politique incitative des prix et des revenus. Le prélèvement conjoncturel, qui fut introduit en 1975, est assez voisin des projets de T.I.P. (Tax-Based Incomes Policy ) développés aux États-Unis à partir de 1971. Il s’agit d’un prélèvement provisoire portant sur les augmentations des marges bénéficiaires des entreprises ne résultant ni d’un accroissement du volume d’activité, ni d’une augmentation de la productivité. En fait, ce prélèvement conjoncturel n’a jamais été appliqué (le gouvernement se refusant à pénaliser les entreprises en période de crise) et il a été officiellement supprimé en 1979.La politique conjoncturelle est en principe au service des objectifs à moyen terme fixés par le Plan. En France, dans les années 1960, les relations entre les politiques de stabilisation et la planification étaient assez équilibrées:– Le planificateur devait tenir compte de l’évolution de la conjoncture et revoir les objectifs et/ou les instruments employés lorsque des seuils d’alerte étaient atteints (système des «clignotants» du Ve plan, prolongé pour le VIe plan par un système d’indicateurs).– Les politiques conjoncturelles étaient, en principe, mises au service de l’exécution du Plan (nombreuses exceptions à la règle de l’annualité budgétaire, etc.).En fait, quand il faut choisir entre des préoccupations de moyen terme et des exigences de court terme, ce sont souvent ces dernières qui sont privilégiées. Deux suggestions ont été faites pour améliorer la liaison court terme-moyen terme: 1. Le passage d’un plan à horizon fixe à un plan à horizon glissant (revolving plan ). Cependant, le plan à horizon glissant a l’inconvénient d’impliquer une remise en cause permanente des objectifs et/ou des moyens. 2. La transformation du Plan national en une «stratégie contre-aléatoire», c’est-à-dire une réponse cohérente et adaptée aux divers chocs. Le Plan indicatif doit tenir compte du renforcement de la contrainte extérieure. Il doit être à la fois – et dans ce cumul réside la difficulté – une riposte aux aléas et une charte collective, normative bien qu’indicative, pour les périodes à venir.
Encyclopédie Universelle. 2012.